Médées, Gilda Piersanti





Médée est une des héroïnes les plus sombres de la mythologie grecque, la figure même des tourments de la passion destructrice. Magicienne, elle n'a reculé devant rien pour faire triompher Jason, l'homme qu'elle aime. Abandonnée, elle se vengera le plus cruellement du monde avant de s'enfuir.
La littérature a su s'emparer de ce mythe au cours des siècles pour nous dire quelque chose de nos moeurs et de nos sociétés. Ici, Gilda Piersanti l'emploie fort judicieusement en le transposant en Italie aujourd'hui, et en dénonçant la violence des séparations et des divorces qui peuvent faire basculer dans la folie des femmes dans la détresse qui n'ont pu trouver leur place en tant qu'épouse et/ou mère dans leur couple. Les enfants deviennent  malheureusement les enjeux et les armes du combat entre ex-amants...
"Médées" au pluriel, car il y a deux personnages féminins en miroir l'une de l'autre: l'une d'elle, Francesca, fait vivre paradoxalement son foyer (et son "Jason") très confortablement grâce à ces séparations. Elle est une avocate réputée, reine du barreau en matière de divorce. Elle livre une bataille féroce pour une de ses clientes, Clara, qui veut obtenir la garde de sa fille. Elles ont beaucoup de points communs. Elles souffrent du manque d'amour et du comportement de leur compagnon, d'assister impuissantes, à la fin d'une union, de leur propre ambiguité face à ce que la société attend d'elles et de leurs désirs profonds qu'elles peinent à identifier... Elles ne souffrent pas en silence: l'une est boulimique, l'autre s'automutile. Leurs maris sont des lâches chacun à leur façon, infidèles évidemment. Ces deux femmes sont dépossédées plus ou moins volontairement de leur maternité, plus ou moins consciemment, de leur maternité.
Gilda Piersanti nous plonge directement dans la tourmente. La scène d'ouverture ne laisse pas de place au doute et l'auteure va remonter le fil des événements qui ont amené une femme à se terrer dans l'appartement conjugal pour échapper à la colère mêlée de désespoir de son mari.
Ce roman court et intense se concentre sur une partie du mythe originel.
Ces femmes blessées qui ont tant donné ne vont reculer devant rien pour se venger. Ces femmes pétries de paradoxes, vont basculer dans une folie froide. Cette tragédie questionne de façon troublante les relations hommes-femmes mais également la place que peine encore à trouver les femmes pour qui la maternité n'est pas une évidence. Avec une belle plume, dense mais fluide, la romancière n'épargne pas le lecteur. Les ressorts du drame posés, elle laisse le fil implacable de la tragédie se dérouler jusqu'à la fin qui laisse le lecteur sonné.
Cédée tue ses enfants car elle ne se résout pas à n'être que mère, elle tente de sauver ainsi la femme en elle. Y arrive-t-elle? Quelle est cette femme aujourd'hui et quel choix a-t-elle?
A noter une postface d'Aldo Naouri.

Editions Le Passage, poche 2018


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