Fugitive parce que reine, Violaine Huisman





Un roman qui explore et questionne le rapport à la mère, voilà qui n'est certes pas très original. Le thème a été largement traité, un peu moins concernant les relations mère-fille peut-être (sans certitude, mais il est vrai que les exemples de roman d'auteurs masculins en la matière viennent très rapidement à l'esprit).
Difficile de ne pas penser à la lecture des premières pages, à Rien ne s'oppose à la nuit de Delphine de Vigan.
Les deux auteures ont emprunté leur titre, Delphine de Vigan au texte d'une chanson de Bashung, Violaine Huisman à Marcel Proust. Effectivement, l'auteure rend hommage à la formule de Proust dans Albertine disparue, 6ème tome d'A la recherche du temps perdu, originellement titré La fugitive ("fugitive parce que reine, c'est ainsi"). Mais le livre de Violaine Huisman est-il à la hauteur de cette référence?
Il est également question de troubles de la personnalité dans le récit autobiographique de cette dernière. Peut-être même de bipolarité dans les deux cas. Mais Rien ne s'oppose à la nuit est oubliée dès les premières pages. L'incipit donne le ton. En effet, une phrase très longue, interminable, et à la plume précise nous fait entendre la voix de l'auteure enfant. Elle assiste à deux événements dont le point commun est son incompréhension: la chute de Berlin et la chute de sa mère, internée de force, une mère jusque là adorée. La seule phrase d'explication que les adultes daignent donner à sa soeur aînée et elle, "ta mère est maniaco-dépressive" est totalement incompréhensible à hauteur d'enfant. La première partie est consacrée à son point de vue de fillette. Point de vue sur une maman qui ne connait que les excès, ignore la modération ou la demi-mesure. Une fillette élevée dans la violence du comportement et du langage de sa maman, dans la crainte perpétuelle de la perdre. Les rôles sont inversées: les fillettes tiennent le rôle de mère et doivent veiller sur elle endossant même la responsabilité de la maintenir en vie. Dans une seconde partie, l'auteure devient la narratrice de la vie de sa mère afin de lui rendre son humanité. Elle va prendre du recul, de la distance et chercher la personne sous le personnage, Catherine et non plus "maman".

"La femme qui avait existé avant de m'enfanter je n'y avais pas accès. A mes yeux, Catherine ne serait jamais qu'un personnage. Aussi, je lui attribuais mon fantasme de ce qu'avaient pu être son histoire, ses pensées, ses choix. Certes, sa vie, elle me l'avait racontée par le menu, mais pour l'incarner il fallait l'imaginer, l'interpréter. Il fallait que j'en devienne la narratrice à mon tour pour lui rendre son humanité."

Ce qui frappe le lecteur dans ce premier roman, est la recherche constante de la justesse, sans volonté de l'auteure jamais d'être plainte (ce qui n'empêche pas l'empathie). Une justesse du regard et de l'écriture dans ce roman qui témoigne des dégâts causés par le désamour.  Violaine Huisman dresse le portrait d'une femme qui toute sa vie, a cherché l'amour inconditionnel et réciproque, ne le trouvant finalement qu'auprès de ses filles. Elle tente de retranscrire son portrait sans jugement, balayant les excès qui caractérisaient cette mère qu'elle a adoré et qui ne pouvait aimer autrement.
L'auteure égratigne au passage un milieu social bourgeois et parisien, une "caste sociale"qui a toujours rejeté cette mère qui aurait rêvé d'y appartenir, un milieu qui ne protège en aucun cas d'une certaine forme de maltraitance.
Ce récit dur et sans complaisance est aussi celui de trois générations de femmes et pose une question cruciale, la question de la transmission: que transmet-on malgré soi?
Ce récit autobiographique est avant tout un témoignage d'amour, un amour passionnel pour sa mère. Comme tout récit autobiographique, le lecteur peut ressentir de la gêne et le sentiment d'être voyeur d'une histoire familiale. Mais l'écriture permet de passer outre. Car c'est sans conteste le point fort de ce premier roman. Une écriture fluide, quelquefois empreinte de lyrisme, au vocabulaire riche. Une plume qui est un mélange d'érudition, de poésie, et du langage populaire parfois ordurier de la mère. Une plume puissante, maitrisée qui permet grâce à ce mélange réussi, à retranscrire l'humanité de cette mère fantasque et éprise de liberté.

Editions Gallimard, janvier 2018, 246 p.

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