Today we live, Emmanuelle Pirotte




Après L'ordre du jour d'Eric Vuillard, La disparition de Josef Mengele d'Olivier Guez, Par amour de Valérie Tong Cuong (avis à venir) lus ces derniers mois, voici de nouveau un roman dont le cadre est la seconde guerre mondiale. Mais une période et une opération très peu exploitées en littérature ou ailleurs...

Décembre 1944, la contre attaque allemande bat son plein dans les Ardennes, la campagne belge, ses fermes, ses villages, qui sont tour à tour occupés par les allemands et les Alliés.
Une petite fille juive de 7 ans, Renée est confiée au curé de la paroisse par la famille qui l'avait recueilli quelques mois auparavant, par peur des représailles des troupes allemandes qui font irruption dans le village. Ce curé va la confier à sont tour à deux soldats américains rencontrés sur la route de leur fuite. Or il va s'avérer que ces soldats américains sont en réalité des soldats allemands. Et l'un des deux, Mathias, personnage central du roman, va tuer son compatriote pour sauver la fillette.
Un geste qui laisse perplexe dès le début de la lecture puisque Mathias semble être un soldat sans état d'âme. Tuer ou être tué n'ont pas d'importance. Tuer semble même être une activité qui ne lui déplaît pas puisque des indiens canadiens (les "cris") l'ont rebaptisé "Tue beaucoup". Il aurait sans ciller abattu une autre fillette si elle n'avait pas été Renée. Si elle n'avait pas mangé de la neige alors qu'elle savait qu'elle allait être abattue, geste qui l'humanise et la fait passer du statut de gibier à celui d'être humain, geste qui va questionner Mathias. Si elle ne s'était pas retournée pour affronter le regard de ceux qui la tenaient en joug. Mathias n'est pas un fanatique, il ne déteste pas les juifs. Mais semble avoir assimilé certains clichés.
(quand Renée se retourne alors qu'elle sait qu'elle va mourir afin de voir qui va l''abattre:
"Personne ne fait ça dans la vie, et encore moins une juive."p. 17).
Il faut accepter comme postulat de base qu'il épargne cette fillette là sans que lui-même ne sache pourquoi, parce que sans doute elle est différente tout comme lui et que leur différence les rapproche.
Une étrange relation va s'installer entre eux, une certaine complicité. Jusqu'où va-t-elle les mener?

L'intérêt de ce roman tient principalement à son contexte historique et à la psychologie de ce soldat d'élite, difficile à cerner, qui va s'attacher progressivement à une fillette mature, au caractère bien trempée, intelligente et intuitive et à la relation qu'il va nouer avec la elle.
En effet, cet épisode de la seconde guerre mondiale est captivant.
Le roman a pour cadre l'opération Greif, c'est-à-dire une opération qui visait à semer la confusion dans les lignes arrières des Alliés pendant la bataille des Ardennes par la création d'un groupe de faux soldats américains. L'homme a l'origine de cette opération est le célèbre Otto Skorzeny, officier allemand et commando SS, connu pour ses opérations audacieuses, souvent sous ordre direct d'Adolf Hitler.
Mathias fait partie de ses soldats d'élites, polyglottes, recrutés pour des missions ciblées.
Un soldat dont le roman dresse un profil psychologique par touches successives. Sans que le lecteur n'apprenne jamais vraiment ses origines, comme celle de la fillette.
Le roman nous transporte dans cette courte aventure.
Mathias est ambivalent, et c'est cette personnalité complexe qui va intriguer le lecteur, cette personnalité ambiguë et difficile à cerner, qui le tient en haleine.
Un soldat allemand mi-ange mi-démon, implacable, cruel mais également sensible. Ce personnage que l'auteure n'a pas voulu manichéen afin de montrer la complexité même de la guerre. Elle le rend humain et attachant, notamment par le biais de son propre attachement à Renée et de l'empathie du lecteur pour cette fillette qu'il veut évidemment voir sauvée.
La progression de la relation qu'ils vont nouer est parfaitement menée et maitrisée.
L'originalité de l'approche est à saluer, ainsi que le travail documenté de l'auteure.
Emmanulle Pirotte est scénariste et livre ici son premier roman.
Cette courte épopée se lit très facilement et vite. L'écriture est fluide, simple mais efficace. Il ne s'agit pas de grande littérature ici. Le style de narration le laisse comprendre dès les premières pages. Son style est incisif et ne s'embarrasse pas de détails ni de fioritures. Emmanuelle Pirotte va droit au but. Ce roman est très visuel et il est difficile de ne pas imaginer le film qui pourrait en découler. C'est certainement sa faiblesse. Et ce n'est pas étonnant car le roman a été écrit à partir d'un scénario. Car le roman prend quelquefois des airs manichéens. Pourtant, malgré ces quelques faiblesses, Emmanuelle Pirotte signe un premier roman plutôt réussi, et rend vraisemblable cette histoire d'écorchés vifs improbable. Mais la réalité après tout dépasse très souvent la fiction.

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