En camping-car, Ivan jablonka






Ivan jablonka livre encore une fois un livre inclassable, passionnant, émouvant et d'une nostalgie communicative. L'écriture est fluide, d'une justesse remarquable, emplie de métaphores et souvent poétique. Elle permet de transmettre au lecteur les sensations et les sentiments de l'enfant Ivan Jablonka, sa réflexion approfondie et son regard d'adulte portés sur cette expérience témoin de son passage à l'adolescence, qui l'a littéralement constitué.

Il fait le récit à la première personne, de ses étés heureux en famille et en camping-car dans les années 80 durant lesquels sa famille sillonne les Etats-Unis et les berceaux de la civilisation antique du pourtour méditerranéen. Ivan Jablonka explore à nouveau son histoire personnelle (cf Histoire des grands parents que je n'ai pas eus), marqué par la Shoah et l'histoire de l'après 68.

C'est une autobiographie d'un genre nouveau, à la croisée de l'individuel et du collectif.
Il cherche (et a trouvé) une autre façon de parler de soi, en glissant de l'individuel au collectif (et inversement).

"Je propose une autre façon de parler de soi-même. Débusquer ce qui, en nous, n'est pas à nous. Comprendre en quoi notre unicité est le produit d'un collectif, l'histoire et le social. Se penser soi-même comme les autres."

Cette autobiographie de son enfance à l'adolescence, tourne autour du camping-car, le mythique combi Volkswagen, symbole de liberté notamment.
Mais aussi le symbole de la manière dont ses parents appréhendaient le monde, le symbole de la diaspora juive, le symbole du génie allemand mais aussi celui de la Shoah (Volkswagen ayant employé des juifs comme main d'oeuvre gratuite), celui du flotter power, celui d'une autre manière de voyager, d'une révolte, de la volonté de n'appartenir à aucune classe, aucune catégorie, symbole de son éducation...

"En fendant le continent européen de notre sillage, nous l'unifiions. Nos origines familiales disaient Europe de l'Est, shtetl, neige, forêts profondes; nos voyages disaient Méditerranée, soleil, lumière, planche à voile; mais tout dans le camping-car, disait l'Allemagne. Volkswagen, la "voiture du peuple", et Westfalia, son équipementier venu de Westphalia, avaient produit un foyer mobile, un espace idéal, un lieu logique où tout servait, tout avait sa place, où chaque centimètre carré était utilisé avec intelligemment, grâce à l'extrême rationalité du rangement - et cela aussi était rassurant. Le génie allemand de l'organisation était mis au service non pas du crime de masse, mais de la vie, de la joie, de l'intimité, de l'intégration familiale, et il est facile de comprendre en quoi le camping-car a sauvé mon père, et nous avec."

Il mêle son récit personnel à l'histoire de cette révolution qui a marqué le tourisme, le camping-car permettant une autre façon de voyager dans le respect des populations, de la nature, de l'aventure.

Il appuie son récit sur ses cahiers de notes (prises pendant ces voyages) dont il retranscrit des passages et les témoignages des amis qui les accompagnaient (membres de leur "communauté") et de son père lui-même.
Son père qui lui enjoint d'être heureux (le livre débute ainsi) pour conjurer sa propre enfance et comme condition à son propre bonheur. Son père qui culpabilise de les savoir enfermer dans un appartement le reste de l'année.

Ivan Jablonka si il pointe le caractère intrinsèquement contradictoire de l'injonction paternelle, a été heureux.
Il éprouve le bonheur à travers ces voyages familiaux et découvre une notion fondamentale: la liberté (et le droit de vivre pour lui-même qui l'accompagne).

 "Je n'avais plus aucune fonction à assumer, on n'attendait rien de moi. J'étais un enfant qui ne servait à rien. Un enfant tout court. Le camping-car m'a déchargé de responsabilités écrasantes, empêchant que s'éteigne en moi la flamme, me maintenant de ce côté-ci de la vie. Le camping-car a été pur sentiment d'exister, droit au bonheur. Moi qui était dédié aux morts, promis à la réussite scolaire, j'ai pu, grâce à lui, vivre une fois pour moi-même."

Le camping-car a cristallisé cette liberté mais aussi une manière de vivre, un modèle à suivre. Un symbole de son éducation.
Les visites sont placés sous le signe de l'enseignement, de l'histoire à travers la mère de l'auteur.
C'est un récit d'apprentissage au sens strict et au sens large, à l'origine de la vocation de l'auteur et de l'homme qu'il est devenu.

"J'ai grandi dans le camping-car et le camping-car m'a fait grandir. En valorisant une culture démocratique et une manière d'être toujours en mouvement, il a été le support d'un rapport au monde qui fait le lien entre le cosmopolitisme juif du 19e siècle, la culture contestataire du 20e siècle et les idéaux de la gauche pour le 21e siècle."





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