Le jour d'avant, Sorj Chalandon






J'ai subodoré au début de ma lecture un livre exclusivement sur la mine et évidemment, j'ai pensé à Germinal de Zola. Sorj Chalandon allait nous replonger dans la mine près d'un siècle après Germinal.
Effectivement, l'auteur rend hommage aux mineurs et nous parle à travers le narrateur, du drame de Liévin qui a eu lieu le 27 décembre 1974. Il était un jeune journaliste de 22 ans lorsque le drame s'est produit. Si Germinal est cité dans le livre, ils n'ont en commun que cet hommage rendu à la rudesse de ce monde ouvrier oublié de tous. Et la mine qui est également personnifiée et présentée comme une "bête", un "animal"(page 56:"Elle se gavait d'hommes, la mine. Elle avait faim de nous. Jamais elle nous laisserait en paix").
Le narrateur nous parle de la dignité, de la fraternité et du courage de ces générations de mineurs. Le livre est un hommage évident. Il mêle le deuil personnel à la mémoire collective.
Mais il est plus un livre tout en souffrance sur la culpabilité, la colère, le remords, le mensonge à soi-même.
Car il a une dimension romanesque en progression. L'auteur joue avec le lecteur qui va assister à un retournement de situation dans la deuxième partie... On croit lire un livre sur la vengeance, mais il n'en est rien. L'histoire est surprenante et l'auteur est habile. Pour "se jouer" de nous, il ne nous donne qu'un point de vue; il nous place dans la tête de son narrateur et nous assistons au récit des événements tragiques qui ont jalonné son existence de son point de vue. Dans la première partie, la subjectivité intentionnelle ainsi que d'autres éléments (notamment le caractère obsessionnel de la vengeance du narrateur pendant pas moins de 40 ans) me laissaient pressentir autre chose sans avoir cependant anticiper la fin. Je n'avais en tête que cela: où l'auteur veut-il me mener?
Les tragédies s'enchaînent. Le lecteur ne peut qu'être en empathie avec le narrateur. Ayant une âme sensible, il m'a fallu une boîte de mouchoirs pour la traverser... Tout le monde meurt autour du narrateur qui se retrouve absolument seul (cette solitude paraît nécessaire a posteriori). J'ai été un peu agacée par le talent de l'auteur à m'émouvoir mais la deuxième partie (tout aussi émouvante) récompense de cette tempête émotive. Dans ce livre, nous allons de la lumière vers l'obscurité. La deuxième partie est superbe. La fin apporte de la lumière, y compris sur le titre du roman qui prend toute sa mesure.
Sorj Chalandon explore le déni de responsabilité engendrée par une réalité trop dure à affronter (et un dernier message insurmontable d'un père avant de se donner la mort). Déni qui pousse le narrateur à s'inventer un mythe supportable jusqu'au besoin du jugement expiatoire. L'auteur ausculte l'âme humaine avec talent.
L'histoire est bien construite. L'écriture de l'auteur est incisive, concise, évocatrice, juste et accessible. Elle est très intense et très incarnée. Les phrases sont courtes, sèches et précises.
Sorj Chalandon livre un roman poignant, fort et terriblement émouvant.

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