La disparition de Josef Mengele, Olivier Guez





Je ne vais rien vous apprendre sur le sujet de ce livre, qui est très bien illustré par le titre:
comment Josef Mengele, un des pires et plus célébres criminels nazis, a-t-il pu mourir de mort naturelle sur une plage brésilienne sans jamais avoir été jugé? C'est un des mystères que l'auteur tente de lever en reconstituant son trajet depuis son arrivée en Argentine en 1949. Une deuxième question est sous-jacente mais omniprésente et c'est elle qui fait le sel du récit: Mengele a-t-il connu une vie normale?
Ce qui est admirable et incontestable, c'est le travail minutieux de l'auteur pour réunir l'ensemble des informations concernant Mengele après guerre, l'enquête approfondie qu'il a mené sur les lieux qu'il a fréquenté en Amérique latine, recueillant des témoignages inédits. Le travail mémoriel est toujours salutaire. Cependant, je n'ai personnellement pas appris grand chose sur l'"ange de la mort". Ceux qui se sont un peu penchés sur le sort des grands criminels nazis connaissent leur fuite en Amérique du sud, la protection dont ils ont bénéficié, l'utilisation de leur savoir par les gouvernements américains. Ils connaissent la façon dont ils ont pu fuir l'Allemagne. Certains ont même connu une impunité totale en restant en Allemagne et en reprenant des fonctions publiques au sein des gouvernements ultérieurs... Je connaissais les atrocités commises par cet être répugnant depuis mon enfance. L'évocation de son nom me faisait frémir depuis si longtemps. Mais l'intérêt pouvait être que cette fuite était incarnée. Or, c'est ce qui m'a légèrement manqué. Je me demande d'ailleurs si le succès de ce livre ne tient pas essentiellement à son personnage.

Les récompenses attribuées par le Goncourt et le Renaudot cette année ne sont pas anodines. Les jurys  semblent avoir voulu introniser l'histoire dans la littérature française. Le fallait-il? La littérature a-t-elle la légitimité des témoins et des historiens? Quand l'enquête est minutieuse, le récit vrai, sans doute. La littérature ajoute à l'histoire et aux témoignages: elle comble les vides laissés à l'imagination, donne vie aux personnages, donne une âme à l'histoire. C'est là la part romanesque du livre. Et il m'a manqué du romanesque... Il y a peu d'enrichissement par l'écriture.

La lecture de la première partie notamment a été un brin fastidieuse. Entendons-nous bien: le livre est aisé à lire. Il est fluide. Mais cette partie m'a paru longue et ennuyeuse. La deuxième partie en revanche a été plus agréable. Elle ressemble moins à une énumération factuelle.
C'est plus qu'un récit car nous entendons Mengele penser, rêver ou cauchemarder. mais j'aurais aimé un peu plus de subjectivité.

Les intentions ne me semblent pas claires. Ce n'est pas un livre historique (au sens scientifique) car il y a des éléments romancés, mais les personnages sont vue de loin. On oscille en permanence entre les points de vue. On entre jamais dans les tréfonds de l'âme du personnage, là où le roman doit intervenir (même s'il s'agit de pures spéculations). Pas assez de spéculations, trop de faits... L'auteur ne semble pas avoir voulu tranché véritablement, entre fiction et histoire. Ce qui donne un récit historique avec un peu (trop peu?) de fiction. L'auteur semble boucher des trous. Et un récit historique que j'ai trouvé à peine rédigé.
Olivier Guez ne semble pas vouloir s'atteler à sonder les noirceurs de l'âme de son personnage, ses turpitudes, à explorer la figure incarnée du mal. Il le tient à distance. La raison est peut-être la suivante: il ne veut pas essayer de le comprendre? Or comprendre ne signifie pas excuser. Olivier Guez reste un peu à la surface de son personnage. Il nous montre un fanatique, psychorigide qui a adhéré complètement à l'idéologie nauséabonde du troisième reich. Ou cette adhésion masque-t-elle sa sociopathie? Ou cette adhésion est-elle une forme ou une conséquence de sa sociopathie?
Alors certains trouveront que la sobriété littéraire était souhaitable pour traiter un sujet aussi effroyable. L'argument est recevable. Mais alors où se situe la limite? Pourquoi ne pas s'être contenté d'un récit et vouloir insuffler un peu de subjectivité mais pas trop?
Le style est plat, sec. Ce côté froid et clinique est voulu mais il peut ennuyer. Je trouve de plus que le traitement narratif manque d'homogénéité.
J'ai évidemment penser aux Mémoires des époux Klarsfeld, à Eichmann à Jérusalem de Hannah Arendt, à La mort est mon métier de Robert Merle et bien évidemment Les bienveillantes de Jonathan Littell.

Ce livre peut donc intéresser ceux qui ne connaissait pas Mengele (et encore, il y a peu de détails sur ses expériences "médicales") ou les nazis qui ont pris la fuite vers l'Amérique du sud, ni leur traque quelquefois volontairement peu active.

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